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La muse à Ostende

Extrait du tome 3 du roman "L'impressionniste de Molenbeek"

Hôpital d’Ixelles, 14h05

Joséphine visite sa petite fille trois fois par semaine et soulage moralement une Barbara toujours assise à la même place dans la chambre blanche.

Oh ma petite chérie, m’petite chérie, c’est terrible, qu’est-ce qu’on va devenir, dit Joséphine en pleurs.

Sous le choc psychologique, la grand-mère a augmenté sa dose de Valium et de Xanax. Dorénavant à chaque visite, elle sanglote sans savoir se retenir.

Je ne dors plus du tout et j’arrête pas de penser à Noor, ma pauvre petite fille ! Si jeune, sa vie est déjà foutue.

Le visage fermé et tendu, Barbara se lève et fait signe à sa mère pour qu’elles sortent de la chambre et dans le couloir, elle dit :

Mais tu t’entends maman ? Ça va pas d’parler comme ça devant Noor ! Qu’est-ce qui te prend ? Tu sais pas qu’une personne dans le coma peut entendre ! Moi non plus, j’n’dors pas mais j’essaie d’être forte, et si tu n’sais pas faire un effort, c’est pas la peine d’venir ! J’fais tout pour tenir le coup et j’n’ai aucun besoin de subir tes jérémiades, ce n’est pas comme ça que tu m’aideras !

Régulièrement, Karim passe, même s’il ne reste pas longtemps, sa simple présence fait du bien à sa voisine. Il l’invite quelquefois à prendre l’air, marcher autour de l’étang d’Ixelles ou boire un café. Occasionnellement, il apporte une tarte au riz, le dessert préféré de la cible. Ainsi il espère déclencher la séduction. C’est le plan.

Et avant de passer à l’hôpital, il lui envoie un message pour voir si elle a besoin de quelque chose. Parfois, il reste assis là dans la chambre, de l’autre côté du lit. Tous les deux souffrent différemment, perdus dans leurs pensées égarées dans le passé et dans l’angoisse d’un futur très incertain. Et désormais, Barbara prend son ordinateur et bosse à l’hôpital.

Ne pouvant supporter les reproches de sa fille, Joséphine sort brusquement et quitte l’hôpital en pleurs. Sur le parking, elle croise Karim.

Voyant les larmes de Joséphine, paniqué, l’impressionniste de Molenbeek se dépêche, monte dans l’ascenseur et se précipite vers la chambre de Noor redoutant que les nouvelles médicales soient mauvaises, il ouvre la porte :

Qu’est-ce qui se passe ? Y a un problème avec Noor ?

Non, non répond Barbara, Warum[1] ?

— Ouf hamdoullah, j’ai vu ta mère, sortir en sanglotant et j’ai cru que….

— On s’est juste pris la tête, j’supporte plus du tout sa négativité, explique la mère de famille en regardant par la fenêtre.

— T’es à cran c’est humain mais c’est ta mère quand même, tu dois la ménager, c’est difficile pour elle, elle n’est pas très Hamdoullah !!

— Ooooh Karim, tu brigues un poste de diplomate à l’ONU ou t’as suivi une formation accélérée d’médiateur familial ou d’éducateur de rue ! Parait que les molenbeekois sont doués en négociation interculturelle.

C’est un être étrange ce blédard, si impétueux et prêt à exploser à tout moment.

— Non, c’est les effets de l’épice bio. En bon Molenbeekois, j’ai essayé d’m’inculquer la patience, mais j’craque ! C’est culturel selon ma psy régulière Nora, répond Karim en éclatant de rire,

— Alors, t’as eu l’honneur de croiser le père courant d’air de Noor ! Sitôt arrivé, sitôt reparti ! Tu comprends ça ? Sa fille est dans le coma et Monsieur doit repartir superviser ses chantiers ! dit Barbara en observant un père et sa fille sur le parking avec une glace en main.

— Chacun son agenda dans la vie ! réplique Karim.

— Ça n’m’étonne pas, c’est à cause de ses priorités qu’on s’est séparés. Et je sens comme une solidarité masculine dans ta voix, mais ça doit certainement n’être qu’une mauvaise interprétation de ma part.

— On sort voir le ciel ? dit Karim, les mains dans les poches du manteau.

— Monsieur n’avait soi-disant pas suffisamment d’opportunités professionnelles à Bxl. Il gagnait bien sa vie mais voulait toujours plus. C’est pour ça que le géniteur a déménagé à Venise, dit Barbara en marchant vers la sortie.

Des bénévoles de bonne foi, non-déprimés par le management, poussent des malades en chaises roulantes vers la promenade dans un jardin japonais.

— Ulysse, j’veux dire Haroun, s’est perdu dans les bras de ses tops modèles italiens. Il voulait que j’l’accompagne à Venise avec Noor mais pour ça j’devais quitter mon travail et mon entourage.

— Et tu pouvais pas trouver un job à Venise ou dans les environs ?

— C’était difficile parce que j’aime ce que j’fais dans l’école avec mes jeunes et en plus, j’aurais dû laisser ma mère seule en Belgique.

— J’vois, dit Karim en souriant poliment à une infirmière colombienne.

— Alors, il est parti s’installer à Venise. On était dans un couple « à distance » et on se voyait quand c’était possible. Et puis … à la distance physique s’est ajoutée petit à petit l’affective. Je pensais qu’il finirait par revenir à Bxl mais ça s’est pas passé comme ça, il a pris goût à la dolce vita.

Karim ne dit rien. Il attend, les mains dans les poches et suit des yeux, une infirmière dans sa blouse serrée. Barbara voyant le regard de son voisin, dit :

— Il a voulu tester son potentiel de séduction au volant d’une Alfa Roméo décapotable, un peu comme tous les méditerranéens, n’est-ce pas ?

— C’est humain, c’est pour se rassurer psychologiquement.

— Il a ferré un beau poisson danois ! Une blonde platine, ç’est classe en Italie face aux petites brunettes aux fesses ramollies à coups de pasta, de tiramisu et limoncello. Ça décuple illico pour ainsi dire la valeur psychologique intrinsèque du mâle ! Mais c’est pour Noor que j’suis irritée depuis 10 ans.

— Pendant qu’on bossait sa peinture, elle m’a raconté qu’elle aurait aimé que son père s’intéresse à elle mais qu’il la calculait plus depuis qu’il avait d’autres gosses.

— Elle t’a dit ça ? J’savais pas que vous en étiez là dans les confidences, j’avais compris qu’elle t’aimait bien mais de là à se livrer, c’est rare pour une ado, donc elle a confiance en toi. Elle m’a dit aussi que t’avais l’air triste parce que ta fille ne venait pas te voir. Sans vouloir être indiscrète, pourquoi ?

Karim reste silencieux, l’esprit ailleurs et marche en rond.

— Mon côté subsumeur molenbeekois m’a joué des tours. Un jour, j’ai pété les plombs, et …j’ai tout bousillé, voilà. Depuis, j’erre dans ma vie comme un zombie … Et quand j’vous ai vues Noor et toi pour la première fois sur le pas de la porte, j’avais une valise en mains et j’ai dit que j’revenais de vacances. En fait, j’rentrais d’un de mes multiples séjours à l’hôpital des échoués : La Ramée. Puis, grâce à Noor, le goût du cumin est revenu.

— J’comprends mieux votre complicité alors. Elle se réveillera, elle peut pas abandonner, Noor est forte. J’aime pas trop m’éloigner de l’hôpital mais là j’en ai marre des fades sandwichs d’la cafétéria et si nous allions vite manger, le temps de goûter des saveurs épicées, qu’est-ce que t’en dis, l’oriental ?

— Une hrira ?

— J’fais régime, j’préfère une salade au quinoa, ça t’dit ?

— Ça m’dit même le jeudi, c’est aphrodisiaque et antioxydant, réplique l’impressionniste, le sourire autour de son joint.

Ensuite, en marchant, derrière Barbara, il lève les mains et remercie Allah.

Mon plan séduction fonctionne trop bien, faut que j’fasse une mega-Sadaqah[2] !


[1] Pourquoi, en allemand.

[2] L’Islam recommande aux musulmans d’agir en permanence en faisant le bien envers les nécessiteux non seulement par le don de soi mais aussi par le don de leurs biens.

86,00 €

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Les avis sur le produit La muse à Ostende

Fiche technique

Dimension 20/40, 40/60
Type d'Impression Plexiglas
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